L'homéopathie et la philosophie des sciences

12 mars, 2006

Introduction

L’homéopathie se pratique encore de nos jours, mais qu’en est-il vraiment d’un point de vu scientifique ou épistémologique ? Dans ce court texte, nous tenterons d’analyser cette pratique d’un point de vue épistémologique en répondant à différentes questions à l’intérieur de quatre sections. Dans la première section nous considérerons que Hahneman a utilisé la méthode de l’induction pour justifier son principe de similitude. Ensuite, dans la seconde partie, nous verrons qu’un homéopathe peut expliquer l’efficacité thérapeutique de l’homéopathie en expliquant ses 3 principaux principes par rapport au modèle déductivo-nomologique (D-N). De plus, à la troisième section, je serai en mesure d’affirmer que, selon Popper, l’homéopathie n’est pas quelque chose de scientifique. Mais cela, malgré le fait qu’il y a dans les principes de cette pratique une problématique assez complexe. À la quatrième et dernière section, je démontrerai entre autre que, selon Kuhn, la démarche de Hahneman est conforme aux directives méthodologiques de Kuhn et ce, en dépit du fait que l’homéopathie ne serait pas aujourd’hui reconnue par celui-ci comme une science. Enfin, après avoir répondu en profondeur à toutes les questions des quatre sections du travail, je conclurais en faisant une brève synthèse sur la scientificité de l’homéopathie.

1- Quelle méthode Hahneman utilise-t-il pour justifier le principe de similitude ? Décrivez cette méthode en général. Cette méthode est-elle logiquement valide.

Pour justifier son principe de similitude, Hahneman utilise le raisonnement qui suit. La substance « S » produit les symptômes de la maladie « X » chez une première personne « P1 ». Cette même substance « S » produit les même symptômes de la même maladie « X » chez une deuxième personne « P2 ». Et il continue son observation de l’effet de la même substance « S » par rapport aux symptômes de la même maladie et ce, toujours avec une personne différente « Pn » (où n est un nombre fini). Ainsi, il obtient une quantité considérable d’observations particulières et de celles-ci, il en conclue que la substance « S » produit les symptômes de la maladie « X » chez toutes les personnes. C’est donc à partir de cela qu’il peut énoncer la théorie de son « Principe de similitude ». Cette méthode est appelée l’induction.

Les tenants de cette méthode de l’induction conçoit la science comme un « savoir issu des faits de l’expérience »[1]. Il existe plusieurs variantes de cette méthode, mais dans ce texte, nous nous limiterons à ce que Chalmers (1987), décrit comme étant « l’inductivisme naïf ». Ce dernier, étant réduit à sa plus simple expression consiste dans notre cas en un raisonnement inductif, c’est à dire de faire plusieurs observations et d’en conclure quelque chose de général.

Pour voir plus en détail ce que signifie le raisonnement inductif, il est nécessaire de définir les deux termes suivants : énoncé singulier et énoncé universel. Comme nous le signale Chalmers, les énoncés singuliers « se réfèrent à un événement ou à un état de chose observable »[2]. Par exemple : « ce verre d’eau est vide » ou « cette chose s’envole ». Pour ce qui est de l’énoncé universel, le même auteur nous dit qu’« ils portent sur la totalité des événements d’un type particulier, en tout lieu et en tout temps »[3]. Ces énoncés sont donc du type « toutes les bases en solution font virer le papier tournesol au bleu» ou « tous les être humains sont mortels ». Ceci étant dit, le principe du raisonnement inductif est de passer à une série d’énoncé singulier à un seul énoncé universel. En d’autres mots, il s’agit d’inférer une loi générale ou une théorie à partir de plusieurs observations particulières. Prenons un exemple. À un temps t1, j’aperçois un corbeau et je constate qu’il est noir, à un temps t2 je fais de même et à un temps t3 aussi et cela jusqu’à une énième fois correspondant à un temps tn. J’en conclus donc que tous les corbeaux sont noirs. J’ai donc effectué un raisonnement déductif, car au départ j’avais plusieurs énoncés singuliers et j’en ai conclu un seul énoncé universel. Mais peut-on vraiment légitimer un tel raisonnement ? Les tenants de l’inductivisme disent oui, si les trois conditions suivantes sont respectées : 1) les observations doivent être élevées, 2) elles doivent aussi être effectuées dans des conditions variées et finalement 3) il ne doit pas avoir de contradiction entre les énoncés singuliers et l’énoncé universelle qui en résulte. Évidemment, ces conditions peuvent être discutables, mais dans le cadre de ce travail, nous prendrons pour acquis que ces règles constituent un « principe d’induction » suffisant pour permettre de faire des inductions légitimes, c’est-à-dire que les conclusions de celles-ci aillent des chances d’être vraies. Dans ce contexte, l’indutivisme naïf définit donc le principe de l’induction comme étant à la base de la science et il stipule cela plus généralement de la manière suivante :
« Si un grand nombre de A ont été observés dans des circonstances très variées, et si l’on observe que tous les A sans exception possèdent la propriété B, alors tous les A ont la propriété B »[4].

L’inductivisme naïf affirme donc que c’est à partir du principe cité précédemment que sont établies les lois et les théories scientifiques. Mais, ce raisonnement « est-il logiquement valide ? » En d’autres termes, répond-il à des règles nécessaire et universelle ? La réponse est non. En fait, ce raisonnement n’est pas logiquement valide, car il n’y a rien qui nous assure que ce que j’observe maintenant et ce que j’ai observé dans passé soit la même chose dans le futur. Ceci, implique donc qu’il peut exister des cas ou d’un côté, les prémisses (énoncés singuliers) tirées de l’observation sont vraies et que de l’autre côté, la conclusion (énoncé universel) ne le soit pas. Ceci étant dit, nous pouvons donc affirmer que la justification du principe de similitude de Hahneman ne repose pas sur un argument logiquement valide.

2- Comment un homéopathe pourrait-il expliquer l’efficacité thérapeutique de l’homéopathie (indépendamment de l’efficacité réelle de l’homéopathie) ? Quelles sont les dimensions inhérentes à ces explications ?

Évidemment, l’homéopathe qui veut expliquer comment fonctionne l’homéopathie le fera en expliquant les trois principes fondamentaux de celle-ci qui sont : 1) le principe de similitude, 2) le principe de dynamisation et 3) le principe de l’individualisation. Il s’agit donc de savoir quels sont ces principes et de découvrir « quelles sont les dimensions inhérentes à [leurs ] explications », c’est-à-dire de découvrir de quelles manières et à travers quel modèle d’explication, l’explication de ces trois principes est possible.

Premièrement, il faut choisir un modèle d’explication. Pour ma part, je considère que le modèle le plus adéquat est le modèle déductivo-nomologique (D-N). En fait, ce modèle repose sur deux composantes : 1) la présence d’un argument logiquement valide ; c’est-à-dire que si les prémisses sont vraies, cela implique nécessairement que la conclusion l’est aussi et 2) une partie nomologique ; à savoir la présence de lois scientifiques. Contrairement au syllogisme aristotélicien, l’explication D-N est justifier par l’observation plutôt que par sa cause. Les lois émises comme prémisses dans ce modèle sont donc non-causales et la conclusion qui en est déduite doit obligatoirement s’insérer dans une inférence logiquement valide. Le modèle général est le suivant : Une première partie (explanans) qui contient des lois scientifiques (L1, L2,…Ln) et des conditions initiales (C1, C2,...Cn) d’où est déduite logiquement une seconde partie (explanandum) qui est, en d’autres termes, la conclusion. Voyons donc dans les prochains paragraphes comment cela peut s’appliquer aux différents principes sur lesquelles repose la théorie de l’homéopathie.

Le premier principe, à savoir le principe de similitude s’énonce comme suit : « Une substance qui produit chez un sujet sain des symptômes semblable à la maladie X peut guérir de cette maladie ». Une explication de ce principe dans l’optique D-N va comme suit : Une substance S peut guérir un sujet malade de la maladie X quand un sujet sain l’absorbe et a les symptômes de la maladie X (L1), or le sujet malade de la maladie X absorbe cette substance S (C1), donc le sujet malade de la maladie X sera guérit (conclusion). Ce qui est effectivement une explication logiquement valide.

Afin de bien comprendre l’explication du principe de dynamisation, nous avons besoin de quelques précisions. En fait, étant donné qu’Hahneman s’est rendu compte qu’il était très important de diminuer les doses de substances à des quantités infinitésimales, il a introduit dans sa théorie le principe de dilution. Ce dernier nous dit que pour qu’un remède soit efficace, il doit être dilué entre 4CH et 30CH, c’est-à-dire à une concentration entre 1x10-8 et 1x10-60. Mais voilà le hic, avec la chimie moderne, nous savons désormais que dans une dilution de 9CH (une concentration de 1x10-18), il n’y a plus aucune molécule de la substance initiale dans la solution. Lorsqu’ils ont découvert cela, les tenants de l’homéopathie ont donc introduit le principe de dynamisation : « grâce à une dynamisation, les solutions diluées gardent des traces de la substance originale et ce sont ces traces qui sont actives ». L’explication D-N de ce principe est donc la suivante : Toutes les solutions diluées avec la technique de dynamisation gardent des traces de la substance S initiale (L1), or ce sont ces traces qui sont actives dans une solution dont la dilution est supérieure 9Ch (C1), donc une solution d’une substance X ayant une dilution supérieure à 9Ch est tout aussi efficace que les autres solutions ayant une dilution inférieure à 9CH. Ce qui est, ici aussi, une autre explication logiquement valide.

Enfin, le dernier principe, celui de l’individualisation, s’énonce comme ceci : « tous les sujets sains n’ont pas la même sensibilité aux remèdes ». L’explication de ce principe est ceci : Tous les types de personnes ne répondent pas de la même manière a un remède (L1), or chaque réponse différente correspond à un remède différent (C1), donc à chaque type de personne correspond un remède particulier. Une fois de plus, cet argument explicatif est logiquement valide.

Une nouvelle question se pose désormais : « S’agit-il seulement que l’argument soit valide pour que l’explication soit vraie ? ». En réalité, il s’avère que non, car comme dans tout raisonnement, il faut que toutes les prémisses soient vraies pour que la conclusion le soit aussi. Nous dirons donc que par définition, « E » est une « explication potentielle » de « Q » si et seulement si les deux conditions suivantes sont respectées : 1) E est un argument valide, 2) il y a dans les prémisses de « E » des lois scientifiques. Comme nous l’avons vu précédemment, cette dernière définition rejoint les exigences minimales de l’explication dans le modèle D-N. Mais, l’explication est seulement « potentielle », car il n’y a rien qui nous dit que les lois scientifiques qui en font partie sont nécessairement vraies. C’est pour cela que « E » est une réelle explication de « Q » si et seulement si les deux conditions suivantes sont respectées : 1) E est une explication potentielle, 2) toutes les prémisses de e sont vraies. En définitive, nous pouvons donc affirmer que les explications ci-dessus des différents principes de l’homéopathie ne sont que potentielles, car il n’y a rien qui nous prouve que les lois scientifiques (prémisses) émises dans ses explications sont vraies.

3- L’homéopathie est-elle scientifique selon Popper (ou, pour être plus précis a-t-elle une base scientifique) ? Quel est le statut des différents principes de l’homéopathie ? Est-ce qu’ils sont acceptables selon Popper ?

Avant de répondre directement à la question, il serait important de rappeler brièvement ce qu’est la science pour Popper. En fait, pour lui la science évolue par essais et erreurs et le principal critère de démarcation scientifique d'une théorie se situe dans le fait que cette théorie soit réfutable ou non. En effet, pour Popper, une théorie est considérée scientifique si et seulement si nous avons la possibilité de la falsifier (réfuter). Dans la perspective de cette approche, appelée le falsificationisme, la science ne repose pas en premier sur l’observation, comme le prétend l’inductivisme, mais plutôt sur la théorie. Dans cette perspective, l’observation et l’expérimentation permettent donc de mettre à l’épreuve les différentes théories scientifiques et ce, dans le but des les réfuter. Donc, pour Popper, une théorie qui n’est pas réfutable n’est pas une théorie scientifique. De plus, Popper insiste sur le fait qu’une théorie scientifique ne doit en aucun temps posséder de modification ad hoc. Cela signifie que la théorie ne doit pas être modifiée à la suite de son élaboration pour convenir parla suite aux expériences ou aux observations qui ont servi à la mettre à l’épreuve. Ainsi, pour Popper, l’absence de modification ad hoc et la nécessité de la possible réfutation d’une théorie deviennent alors les deux critères fondamentaux de démarcation de celle-ci entre science et pseudo-science.

En ce qui concerne l’homéopathie, nous allons maintenant l’analyser par rapport aux deux critères fondamentaux de scientificisité énoncés plus haut. Premièrement, rappelons-nous les 3 principes sur lesquels repose l’homéopathie : 1) le principe de similitude, 2) le principe de dynamisation et 3) le principe de l’individualisation. Comme nous l’avons démontré ci-haut, à la première question, nous pouvons considérer que Hahneman utilise la méthode de l’induction pour justifier le principe de similitude. Ce faisant, il s’oppose directement à la conception popperienne de la science qui, comme nous l’avons vu, confirme la suprématie de la théorie sur l’expérience comme fondement de la science. Malgré cela, il nous faut tout de même voir si ce principe de similitude est falsifiable. S’il est possible de le falsifier, il faut que par rapport à cette hypothèse du principe de similitude, il soit possible d’émettre logiquement des énoncés singuliers qui indiquent une situation différente de celle décrite par l’hypothèse et que parmi ces énoncés il y en ait qui aillent à l’encontre de ladite hypothèse. De plus, il faut que les énoncés soient claires nets et précis. Comme vous pouvez le constater, cela n’est pas une mince tâche. Mais tout de même, nous croyons pour notre part que cet énoncé du principe de similitude est falsifiable, car il est toujours possible d’en venir à établir une autre théorie qui affirmera qu’« une substance qui produit chez un sujet sain des symptômes semblable à la maladie X « ne peut que rendre plus malade un sujet malade ayant des symptômes semblables à cette maladie » et cela, contrairement au principe de similitude de Hahneman qui se termine plutôt comme suit : « peut guérir de cette maladie ». Pouvons-nous pour autant en conclure que l’homéopathie est scientifique ? Rien n’est moins sûr, car ce principe n’est pas le seul en ce qui concerne l’homéopathie. Il nous faut donc continuer notre analyse et pour ce faire, voyons ce qu’il en est avec le principe dynamisation.

Comme nous l’avons dit précédemment, à la question 2, le principe de dynamisation a été introduit par les tenants de l’homéopathie lorsqu’ils se sont rendu compte, à l’aide de la chimie moderne, qu’il n’y avait plus de molécule de la substance voulue dans les solutions ayant une dilution de plus de 9CH (concentration de 1x10-18). Ce principe est donc une modification ad hoc de la théorie homéopathique. Il serait donc, selon Popper, le critère qui nous permettrait de classer l’homéopathie parmi les pseudo-sciences. Mais avant d’en conclure définitivement là-dessus, il serait intéressant de faire quelques observations supplémentaires. En effet, le principe de dynamisation fait appel à un autre principe, celui de dilution. Ce dernier nous dit que « pour qu’un remède soit efficace, il est nécessaire de diluer la substance employée entre 4CH et 30CH ». Ce principe est-il falsifiable ? Si oui, a-t-il été falsifié ? Encore une fois, ces questions ne sont pas simples au premier abord. Pour notre part, nous croyons que le principe de dilution énoncé, tel que ci-haut, est falsifiable. Cependant, il est non seulement falsifiable, mais désormais falsifié grâce à la chimie moderne. Dans cette perspective, nous pouvons constater que l’émission du principe ad hoc de dynamisation provient directement du fait que celui qui le précédait, c’est-à-dire celui de dilution, a été falsifié. Nous sommes donc devant un problème un peu plus complexe que prévu. Il est alors préférable de terminer notre analyse, avec le dernier principe, avant d’en conclure quoi que ce soit de façon définitive.

Le principe de similitude s’énonce comme suit : « tous les sujets sains n’ont pas la même sensibilité aux remèdes ». Cet énoncé est-il falsifiable selon les critères cités plus haut ? En fait, il ne l’est pas, car comment pourrions-nous émettre un énoncé qui irait à l’encontre de cela ? Ce principe est beaucoup trop vague et il peut porter à de multiple interprétation, d’autant plus qu’« il semble qu’à ce stade, nous passions d’une thérapeutique « médicale » à une théorie « psychologique » »[5].

En définitive, nous croyons à la lumière de cette analyse que, selon Popper, l’homéopathie n’est pas scientifique, car dans ces principes, celui de l’individualisation n’est pas falsifiable. De plus, le second principe dit de dynamisation est une hypothèse ad hoc. Selon le falsificationisme, cela confère donc a l’homéopathie actuelle le statut de pseudo-science. En ce qui concerne le statut des différents principes de l’homéopathie par rapport à l’exigence de la falsification de Popper, comme nous l’avons vu précédemment, seulement ceux de similitude et de dilution étaient falsifiables. Ce dernier ayant déjà été falsifié. Dans cette perspective, il est assez paradoxal de constater que si la base de l’homéopathie avait reposé seulement sur ces deux derniers principes, l’homéopathie serait, selon Popper, une théorie scientifique falsifié et qui par conséquent aurait été rangée aux oubliettes et remplacé par une meilleurs…

4- Est-ce que la démarche de Hahneman est conforme aux directives méthodologiques de Kuhn ? Peut-on dire que la recherche d’Hahneman constitue un paradigme dans le domaine des sciences biomédicales ? Peut-on alors justifier l’homéopathie ? Que vaut cette justification ?

Au premier abord, la démarche de Hahneman semble conforme aux directives méthodologiques de Kuhn, mais voyons cela plus en détails. De façon générale, les principes de Kuhn explicite le fait que la science repose toujours sur le désir fondamental de mieux connaître le monde et la nature. Ces principes sont au nombre de cinq et ils sont pour lui les fondements de la science. Premièrement (1), il faut étudier la matière et le monde, c’est ce que Hahneman fait en étudiant l’effet de différentes substances sur différentes personnes. Deuxièmement (2), toujours selon Kuhn, on doit étudier le monde avec une grande précision et le plus d’universalité possible, c’est ce que fait Hahneman avec ses dilutions infinitésimales et l’application de sa théorie à tous et chacun. Troisièmement (3), Kuhn nous dit qu’il faut garder au sein de la science une grande cohérence interne et une correspondance avec le monde, c’est aussi ce que fait Hahneman, car les principes qui fondent sa théorie ne sont pas contradictoires entre eux et ils sont fondés sur la meilleure connaissance de la chimie de son époque. Quatrièmement (4), Kuhn nous rappelle qu’il faut comprendre la science et ses composantes dans le détail. C’est ce qu’a fait Hahneman de son mieux, malgré le fait que le développement de la chimie de l’époque ne lui permettait pas de connaître en détails les caractéristiques chimiques et moléculaires des solutions qu’il administrait. Enfin, le cinquième principe de Kuhn veut que la science procède de manière empirique. C’est exactement ce que faisait Hahneman lorsqu’il expérimentait sur lui et ses collègues l’absorption de différentes substances afin d’en identifier les effets.

Il est à noter que ces principes de base représente l’esprit de la démarche scientifique, mais ils ne suffisent pas, selon Kuhn, à élaborer un critère de démarcation entre la science et la non-science. Car, ces directives peuvent mener à toutes sortes de théories qui ne seront pas nécessairement compatibles entre elles et ce, malgré le fait que celles-ci soient toutes légitimes par rapport aux directives initiales. Dans ce cas, il faut regarder ailleurs, dans l’approche de Kuhn, pour découvrir si la « recherche de Hahneman constitue un paradigme dans le domaine des sciences biomédicales ». Et, cet ailleurs réside dans le cycle kuhnien de la science. Comme nous l’avons décrit ci-haut, ce dernier est composé en premier d’une proto-science, c’est-à-dire d’une absence de consensus dans le domaine en question. Cette dernière est suivit d’une première science normale (SN1) et elle est formée d’un paradigme (théorie générale) accepté par l’ensemble de la communauté scientifique de ce domaine. Par la suite, il peut survenir une première crise, à savoir le fait que le paradigme ne réponde pas à élucidation d’une énigme du domaine en question. Ensuite, il peut survenir deux choses, soit que la crise est résolue au sein même du paradigme ou soit qu’il y ait l’élaboration d’un nouveau paradigme. Dans le deuxième cas, nous nous retrouvons alors devant une nouvelle science normale (SN2). Ainsi, le cycle se continue en passant successivement d’une nouvelle crise à une nouvelle science normale (SN3) et ainsi de suite. Dans cette perspective, nous pouvons affirmer que la recherche de Hahneman, s’inscrit très bien dans le paradigme scientifique de l’époque en ce qui avait trait à la chimie et la médecine. Mais, nous croyons que nous ne sommes pas en mesure d’affirmer que la recherche Hahneman constitue en elle-même un paradigme. Pour ce faire, il faudrait faire une étude de sa théorie par rapport à son époque et à sa culture, ce que préconise l’approche de Kuhn dans ce qu’il appelle « La nouvelle historiographie ». Néanmoins, il est aujourd’hui évident que la théorie de Hahneman ne s’inscrit aucunement dans le paradigme de la chimie et de la médecine actuelle. Elle ne constitue donc pas en elle-même un paradigme, car l’homéopathie n’est pas utilisée par l’ensemble du corps médical pour soigner les malades. Cet état de fait ne confère donc pas aujourd’hui à l’homéopathie, le statut de science. Par conséquent, nous ne pouvons pas scientifiquement la justifier. Et cela, malgré le fait qu’elle aurait très bien pue être considérée comme une théorie scientifique à l’époque où elle a été développée par Hahneman.

Notes

[1] Chalmers, Alan Francis (1982), Qu’est-ce que la science ?, Édition La Découverte, Paris 1997, page 19.
[2] Idem, page 21.
[3] Idem, page 22.
[4] Idem, page 24.
[5] Questionnaire, page verso.